La première édition de Jane Eyre que j'ai eue entre les mains a été un livre de poche datant de 1972. Aujourd'hui il a tellement été lu et relu que les pages s'en détachent et la tranche est décollée... La traduction est de Charlotte Maurat, et j'ai toujours eu une préférence pour cette traduction, que je trouve superbe. L'une des premières choses qui m'a frappée en lisant et relisant cette édition, c'est l'emploi de "ardent(e)" et de "ardemment'. J'en ai noté 62 occurences (j'ai encore les numéros de pages au crayon!). Je ne me suis pas rendue compte si c'était aussi frappant en anglais, mais il est certain que le feu, ainsi que son antinomie la glace, tiennent une place importante dans le récit et chez les personnages de Charlotte Brontë. Jane et Rochester sont tous les deux des passionnés (et c'est aussi pour celà que je pense que William Hurt n'a pas été très bon dans le rôle de Rochester, du moins tel que je me l'imagine, dans le film de Zefirelli il est lent et froid, fait plein de mimiques calculées et non spontanées...).
Jane est pleine de chaleur, elle est une enfant rebelle, elle est passionnée et ardente. Rochester a les yeux plein de flammes, d'ailleurs alors qu'il est aveugle elle dit de lui "
son aspect faisait penser à une lampe éteinte, atendant d'être rallumée" ("
his countenance reminded one of a lamp quenched, waiting to be relit") (chap. 37). L'épisode du feu enflammant le lit de Rochester est l'un de ceux où l'amour est le plus vibrant. Enfin, Rochester devra passer l'épreuve du feu pour que les deux amants soient réunis.
St John quant à lui est entièrement décrit en termes de froid, de glace, de roc, de marbre. Il est "
inexorable comme la mort" selon Diana et se décrit lui-même comme "
un homme froid, dur" (chap. 32). "
Je suis froid, aucune ardeur ne me touche" ajoute-t-il au chapitre 33. "
il n'existe point de baiser de marbre, de baiser de glace, sinon je dirais que le baiser de mon cousin appartenait à l'une de ces catégories" nous dit Jane (chap. 34). Pourtant, on devine sous les traits austères de Rivers une flamme contenue qui nous est révélée au moment des rencontres avec Rosamond :
"
ses joues s'empourpraient, ses traits de marbre, tout en refusant de se détendre, s'altéraient d'une façon indescriptible, leur impassibilité exprimant alors une ferveur contenue, plus intense que ne l'auraient pu faire des muscles libérés ou des yeux plein de feu" (chap. 33). La flamme, le feu sont toujours pour Charlotte Brontë une métaphore de l'amour.
Par opposition, le froid, la glace sont associés à Lowood, le froid physique étant une métaphore de la solitude de Jane. Ce thème du gel et de la glace revient aussi au moment du mariage interrompu : "
les frimas de Noël avaient fait leur apparition en plein été : une tourmente de neige de décembre avait soufflé en juin; les pommes mûres étaient recouvertes de glace; la neige amoncelée avait écrasé les roses épanouies; un linceul de gel était étendu sur le foin des prairies et sur le blé des champs" (chap. 26) ("
A Christmas frost had come at midsummer; a white December storm had whirled over June; ice glazed the ripe apples, drifts crushed the blowing roses; on hayfield and cornfield lay a frozen shroud")