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20 juin 2015 6 20 /06 /juin /2015 22:55
Farewell my dear Master
Farewell my dear Master

La dernière lettre est datée du 18 Novembre 1845. Son écriture est très jolie.

Haworth Bradford Yorkshire

Monsieur,
Les six mois de silence sont écoulés; nous sommes aujourd'hui au 18 Nov, ma dernière lettre était datée (je crois) le 18 Mai, je puis donc vous écrire encore, sans manquer à ma promesse.

L'été et l'automne m'ont paru bien longs; à vrai dire il m'a fallu des efforts pénibles pour supporter jusqu'à présent la privation que je me suis imposée: vous ne pouvez pas concevoir cela, vous, Monsieur, mais imaginez vous, pour un instant, qu'un de vos enfants est séparé de vous de 160 lieues de distance et que vous devez rester six mois sans lui écrire, sanas recevoir de ses nouvelles, sans en entendre parler, sans savoir comment il se porte, alors vous comprendrez facilement tout ce qu'il y a de dure dans une pareille obligation. Je vous dirai franchement, qu'en attendant, j'ai tâché de vous oublier, car le souvenir d'une personne que l'ont croit ne devoir plus revoir et que, pourtant, on estime beaucoup, harasse trop l'esprit et quand on a subi cette espèce d'inquiétude pendant un ou deux ans, on est prêt à tout faire pour retrouver le repos. J'ai tout fait, j'ai cherché les occupations, je me suis interdit absolument le plaisir de parler de vous - même à Emilie mais je n'ai pu vaincre ni mes regrets ni mon impatience - c'est humiliant cela - de ne pas savoir maîtriser ses propres pensées, être esclave à un regret, un souvenir, esclave à une idée dominante et fixe qui tyrannise son esprit. Que ne puis-je avoir pour vous juste autant d'amitié que vous avez pour moi - ni plus ni moins? je serais alors si tranquille, si libre - je pourrais garder le silence pendant dix ans sans effort.

Mon père se porte bien mais sa vue est presqu'éteinte, il ne sait plus ni lire ni écrire; c'est, pourtant, l'avis des medecins d'attendre encore quelques mois avant de tenter une opération - l'hiver ne sera pour lui qu'une longue nuit - il se plaint rarement, j'admire sa patience- Si la Providence me destine la même calamité - puisse-t-elle au moins m'accorder autant de patience pour le supporter! Il me semble, monsieur, que ce qu'il y a de plus amère dans les grands malheurs physiques c'est d'être forcé à faire partager nos souffrances à tous ceux qui nous entourent; on peut cacher les maladies de l'âme mais celles qui attaquent le corps et détruisent les facultés, ne se cachent pas. Mon père me permet maintenant de lui lire et d'écrire pour lui, il me témoigne aussi plus de confiance qu'il ne m'en a jamais témoignée, ce qui est une grande consolation.

Monsieur, j'ai une grâce à vous demander: quand vous répondrez à cette lettre, parlez-moi de vous-même - pas de moi car, je sais, que si vous me parlez de moi ce sera pour me gronder et, cette fois, je voudrais voir votre aspect bienveillant; parlez-moi donc de vos enfants; jamais vous n'aviez le front sévère quand Louise et Claire et Prosper, étaient près de vous. Dîtes-moi aussi quelquechose du Pensionnat, des élèves, des Maîtresses - Mesdemoiselles Blanche, Sophie et Justine restent-elles toujours à Bruxelles? Dîtes-moi où vous avez voyagé pendant les vacances - n'avez-vous pas été sur les bords du Rhin? N'avez-vous pas visité Cologne ou Coblentz? Dîtes-moi enfin ce que vous voulez mon maître mais dîtes-moi quelque chose. Ecrire à une ci-devant sous-maîtresse (non - je ne veux pas me souvenir de mon emploi de sous-maîtresse je le renie) mais enfin, écrire à une ancienne élève ne peut être une occupation fort intéressante pour vous - je le sais - mais pour moi c'est la vie. Votre dernière lettre m'a servi de soutien - de nourriture pendant six mois - à présent il m'en faut une autre et vous me le donnerez - pas parceque vous avez pour moi de l'amitié - vous ne pouvez en avoir beaucoup - mais parcequ vous avez l'âme compatissante et que vous ne condamneriez personne à de longues souffrances pour vous épargnez quelques moments d'ennui. Me défendre à vous écrire, refuser de me répondre ce sera m'arracher la seule joie que j'ai au monde, me priver de mon dernier privilège - privilège auquel je ne consentirai jamais à renoncer volontairement. Croyez-moi mon maître, en m'écrivant vous faites un bon oeuvre - tant que je vous crois assez content de moi, tant que j'ai 'espoir de recevoir de vos nouvelles je puis être tranquille et pas trop triste mais quand un silence morne et prolongé semble m'avertir de l'éloignement de mon maître à mon égard - quand de jour en jour j'attends une lettre et que de jour en jour le désappointement vient me rejeter dans un douloureux accablement et que cette douce joie de voir votre écriture, de lire vos conseils me fuit comme une vaine vision, alors, j'ai la fièvre - je perds l'appétit et le sommeil - je dépéris
Puis-je vous écrire encore au mois de Mai prochain? J'aurais voulu attendre toute une année - mais c'est impossible - c'est trop long.

C Brontë

I must say one word to you in English - I wish I could write to you more cheerful letters, for when I read this over, I find it to be somewhat gloomy - but forgive me my dear master - do not be irritated at my sadness - according to the words of the Bible: "Out of the fullness of the heart, the mouth speaketh" and truly I find it difficult to be cheerful so long as I think I shall never see you more. You will perceive by the defects in this letter that I am forgetting the French language - yet I read all the French books I can get, and learn daily a portion by heart - but I have never heard French spoken but once since I left Brussels - and then it sounded like music in my ears - every word was most precious to me because it reminded me of you - I love French for your sake with all my heart and soul.
Farewell my dear Master - may God protect you with special care and crown you with peculiar blessings.
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